Résilience par Thierry Tournebise
8 février 2019 par Luci SogorbRÉSILIENCE par THIERRY TOURNEBISE
Cet article est destiné à mieux cerner ce qui permet de se reconstruire après un choc ou un traumatisme. Il s’adresse aux psy ainsi qu’à toute personne pour qui ce sujet a de l’importance.
Certaines notions sont volontairement répétées dans cet article afin de bien en intégrer les fondements.
Définition
Modes et contresens
Les scientifiques et les industriels utilisent depuis longtemps le mot «résilience». Récemment la psychologie se l’est également approprié pour décrire la stabilité de l’esprit humain après un choc. Ainsi, dès que des souffrances humaines sont évoquées, le concept de résilience surgit aussitôt dans les propos. Victime d’une mode verbale, ce mot risque de se laisser piéger par un brouillard d’ambiguïté.
Nous remarquerons que c’est encore le cas pour des notions aussi habituelles que «communication», «affectivité», «empathie», «être positif». J’ai consacré de nombreuses pages de ce site à les clarifier avec des nuances souvent inattendues
Rapport entre le présent et le passé
En première approche, la définition de la résilience est la «capacité à bien vivre et à se reconstruire après un traumatisme». Avec ces quelques mots, nous avons là une définition sommaire évoquant la qualité du rapport entre le présent et un choc antérieur.
La psychologie a depuis longtemps identifié qu’il existe un rapport entre le présent et le passé. Pourtant, la nature de ce rapport reste assez floue dans bien des esprits (même chez des professionnels). La manière dont un événement antérieur peut fragiliser un individu dans des circonstances ultérieures, nécessite de nouvelles précisions.
«Etre résilient» indique qu’un choc ou un traumatisme antérieur produit peu ou pas de fragilisations ultérieures. Cette résilience peut être quasi spontanée ou, plus généralement, se construire progressivement. Ce mécanisme se produit de différentes façons. Je vous propose d’y consacrer cet article.
Boris CYRULNICK
Neuropsychiatre et spécialiste des comportements, Boris Cyrulnik a lui-même fait l’expérience douloureuse d’un choc traumatisant : la perte des siens pendant la guerre avec obligation de silence. Se reconstruire n’est pas pour lui une simple considération intellectuelle.
Selon lui, la résilience est l’expression d’une force insoupçonnée que l’on a en soi. C’est aussi quelque chose qui se construit progressivement après un choc, souvent avec l’aide d’une tierce personne qui joue le rôle de tuteur. Ce tuteur de résilience peut offrir une référence, une écoute, une présence, un modèle, de l’amour… Nous trouvons ainsi des ressources extérieures venant s’ajouter à nos ressources intérieures (souvent insuffisantes).
Boris Cyrulnik nous précise bien qu’un deuil ne se fait pas avec l’oubli. L’oubli serait une sorte d’abandon et l’apaisement ne peut se produire en abandonnant l’être perdu. Il dénonce parfaitement le fourvoiement de certains confrères qui voient malencontreusement dans le deuil un mécanisme d’éloignement et d’oubli, qui permettrait d’aller de l’avant.
Boris Cyrulnik sait bien que le déni conduit à une amputation de soi. Il le dit et le répète. Quand une part de soi est morte, il faut faire revenir la vie.
Pourtant il parle du «murmure des fantômes» (souvenirs, réminiscences désagréables) et il propose d’apprendre à se battre contre eux et à leur tordre le cou. «Arracher à la vie un plaisir de vivre malgré le murmure des fantômes» nous dit-il dans son ouvrage «Le murmure des fantômes» chez Odile Jacob http://www.odilejacob.fr/indexrec.asp
Il parle souvent de combat. Combattre la blessure. Ne pas s’y soumettre. Lui tordre le cou.
Ainsi partagé entre la douceur et la violence Boris Cyrulnik tente de distiller une explication du fait qu’on s’en sorte après un choc. Il explique avec beaucoup de respect et de pudeur l’importance du pardon tout en soulignant que celui-ci n’est pas toujours possible pour chacun.
Ainsi, la notion de résilience est très subtile, et même parfois contradictoire. Un éclairage complémentaire sur le sujet n’est donc pas superflu. Chaque praticien se doit de rester en éveil et en recherche pour mieux aider ceux qui viennent le consulter.
Conséquences d’un traumatisme
« spécialement pour » ou « à cause de »?
Nous trouvons assez normal de nous sentir perturbés lors d’un événement pénible. Dans le cas d’un traumatisme, il s’est même généralement ajouté au choc lui-même un comportement écrasant et aggravant de la part l’environnement social (déni, culpabilisation, obligation de silence). Dans de telles circonstances il nous semble légitime de nous sentir affectés. C’est là que se posent les problèmes de résilience.
Par contre, nous trouvons anormal de nous sentir perturbés quand le présent ne le justifie pas. Quand des ressentis inconfortables ou douloureux se produisent sans que la situation présente en soit la cause, nous n’en comprenons pas le sens. C’est par exemple le cas dans des états d’angoisses, de phobies, de pulsions et divers maux psy….
La sensation inconfortable ne vient plus alors de ce qui se passe maintenant, mais plutôt d’un lien avec un choc antérieur.
Ici, la circonstance présente n’a été que le réactivateur d’une ancienne douleur. La dimension du ressenti est proportionnelle à ce qui a été vécu autrefois et non à ce qui se passe aujourd’hui.
Il est important aussi de savoir que la douleur de ce qui a été vécu (importance du choc) n’est pas forcément proportionnelle à la «gravité objective» des circonstances passées.
Par exemple un enfant peut être plus choqué de la perte d’un jouet offert par sa grand-mère qu’il aimait tant, que par la mort d’un grand-père qu’il n’aimait pas. par exemple, le cas de ce monsieur qui, à 10 ans, a plus été choqué par la mort de son chien (qui était son unique confident) que par les nombreux décès survenus dans son entourage familial.
S’il est habituel de parler de «psychopathologies», il serait souvent préférable de parler «d’opportunités». Ce fameux «murmure des fantômes» évoqué par Boris Cyrulnik est en réalité ici une invitation à la délivrance. En effet, les symptômes sont la manifestation d’un lien avec une part de soi, autrefois blessée, qui attend une reconnaissance, une écoute ou un soin de notre part. Ce «fantôme» n’a rien de malfaisant, bien au contraire.
Les symptômes sont des opportunités pour retrouver son intégrité, pour réhabiliter ces «bouts de soi», mis provisoirement entre parenthèse afin d’assurer sa survie en attendant des jours meilleurs.
Le symptôme présent se produit spécialement pour accomplir cette rencontre avec soi-même et non à cause du passé.
Comprendre que le symptôme se produit «spécialement pour» et non «à cause de» est d’une grande importance.
– «Spécialement pour» indique que l’on va vers quelque chose de précieux à réhabiliter.
– «A cause de» indique, au contraire, qu’on va vers quelque chose de mauvais à éliminer.
Entre mauvais et précieux
Distinguer le fait historique et l’être qui le vit
Boris Cyrulik nous met en garde : «il ne faut jamais réduire une personne à son trauma». http://france.diplomatie.fr/label_france/FRANCE/IDEES/cyrulnik/page.html
Si dans un traumatisme nous choisissons de parler de bon et de mauvais, soyons attentifs : nous distinguerons d’une part les circonstances du choc(mauvaises) et d’autre part l’Être qui les a vécues (précieux).
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les circonstances (même mauvaises), sont peu importantes. Elles sont loin en arrière dans le temps. Ce ne sont pas elles qui nous restent et qui nous gênent, même si on en a gardé un souvenir obsessionnel.
Par contre, celui que nous avons été lors du choc reste, lui, très présent en nous à chaque instant de notre vie.
Tous ceux que nous avons été nous constituent et «nous habitent» à chaque instant. Ils constituent notre tissu psychique au même titre que notre tête, nos membres, et notre buste constituent notre corps. Ils continuent à « réclamer » l’aide et la reconnaissance qui ne leur ont pas été accordées.
Ce qui reste dans le présent
L’erreur consiste alors souvent à croire qu’en thérapie il s’agit de «revenir dans le passé» pour éliminer du «mauvais». Or les évènements néfastes sont passés et n’existent plus. Par contre, celui que nous avons été au cours de ces événements est toujours là, présent en nous.
Ce n’est pas le passé (ni les circonstances) vers lequel nous devons revenir, mais vers celui que nous avons été au cours de ces événements antérieurs.
Le rétablissement psychologique ne se produira pas en revisitant le fait historique du choc. Tout ce qui compte, c’est celui que nous avons été au moment du traumatisme. Il nous constitue et reste présent en nous à chaque instant ultérieur, dans l’attente du soin qui ne lui a jamais été donné.
Une fracture en attente de soin
C’est là que se trouve la fracture cachée (entre soi et soi). Pour ne pas trop souffrir, nous avons tenté d’abandonner un peu l’être douloureux que nous avons été. Nous «l’emmenons» quand même inconsciemment avec nous, mais en le maintenant à distance pour ne pas qu’il nous déstabilise trop.
S’occuper de cette fracture n’a donc rien à voir avec un retour vers du mauvais à éliminer. Il s’agit en fait d’accomplir une rencontre avec une part précieuse de soi à réhabiliter, une part blessée dont on ne s’est jamais occupé. Il s’agit en fait d’une « médiation entre soi et soi » et non d’un combat. C’est là que nous trouvons souvent une confusion! Ce n’est pas «un combat contre le mal» mais plutôt «une médiation entre soi et soi» qui nous permettra de retrouver notre intégrité.
Place de la résilience dans ce phénomène
La résilience définit la capacité à ne pas être ultérieurement affecté par un choc. Cela signifie donc qu’il n’y a pas de symptômes ultérieurs.
Nous devrions préciser l’origine de cette absence de symptômes: s’agit-il d’une mise entre parenthèse plus efficace du choc ou d’une intégration profonde et solide de ce qui a été vécu?
En réalité, il y a plusieurs façons de ne pas s’effondrer après une blessure morale. Le simple mot «résilience» ne dit pas de laquelle il s’agit. Loin d’apporter la lumière sur ces nuances, le mot «résilience» entretient même une ambiguïté (peut-être aurait-on pu choisir un autre mot);
Définit-il une stabilité réelle ou seulement un refoulement profond masquant une fêlure intérieure bien cachée (pouvant rester enfouie plusieurs décennies) ?
Je répondrai plus loin à cette question, mais je vous propose d’abord de poursuivre notre clarification du mot «résilience».
Les sources du mot « résilience »
Étymologie
Boris Cyrulnik nous propose une première approche étymologique:
«Le mot « résilience » vient du latin et signifie « ressauter« . Non pas ressauter à la même place, comme si rien ne s’était passé, mais ressauter un petit peu à côté pour continuer d’avancer… Résilier un engagement signifie aussi ne plus être prisonnier d’un passé, se dégager. La résilience n’a rien à voir avec une prétendue invulnérabilité ou une qualité supérieure de certains, mais avec la capacité à reprendre une vie humaine malgré la blessure, sans se fixer sur cette blessure».
Extrait d’un article sur la résilience dans le journal «la voix du nord» dans le dossier « attentats- tous blessés par l’image » http://www.lavoixdunord.fr/vdn/journal/dossier/attentats/images/ART3.shtml
Ces explications à propos du phénomène baptisé «résilience», ne nous éclairent pas vraiment. S’il est juste qu’il soit important d’être libre du passé, il me semble erronné de considérer qu’on accède à cette liberté par une résiliation. Je donnerai à ce sujet toutes précisions utiles dans les chapitres suivants, traitant de la stabilité.
Détails linguistiques
pour continuer à découvrir ce mot:
Passons à la loupe le lien étymologique avec «ressauter», souligné par Boris Cyrulnik
Saltere signifie sauter (Ethymologies surprises, de René Garrus éd Belin)
Resaltare (re-saltare) signifie rebondir, résulter et le participe neutre Resultatum a donné résultat
Exultare (ex-saltare) signifie sauter hors, bondir hors et a donné exulter
Salire signifie saillir, s’élancer
Resilire : signifie, sauter en arrière, se retirer (dictionnaire étymologique de la langue française de Bloch et Warturg aux ed Puf) qui a donné résilier (se retirer d’un contrat)
Résilience ou exultence ? Plusieurs de ces notions sont intéressantes. Nous aurions aussi bien pu dire être exultant (et parler d’exultence) plutôt que être résilient, (et parler de résilience) car sauter «hors» semble préférable à sauter «en arrière»… mais l’idée d’exulter n’est pas liée à celle de résistance au choc et de toute façon ne conviendrait pas pour définir l’idée de liberté telle que je l’aborde ici. Nous verrons plus loin qu’on aurait pu à la rigueur parler de concilience, car une fracture ne se « résilie » pas, elle se « réduit » par une médiation, une remise en contact.
Physique, biologie, industrie
A chaque fois que vous chercherez la définition de la résilience en psy, vous trouverez presque toujours d’abord un cortège de définitions de la résilience dans d’autres domaines. En effet, ce terme est déjà utilisé en biologie et en physique.
Biologie : Le temps de résilience est le temps nécessaire à un écosystème pour retrouver son état originel après perturbation. Site Coccinet (biologie et sciences)
http://biologie.fr.free.fr/ecologie.htm
Biologie : La résilience est l’aptitude à se maintenir dans un milieu malgré ses modifications, les atteintes des prédateurs, la pêche, la chasse etc.
Physique : Grandeur caractérisant la résistance d’une barre aux chocs transversaux. Elle est égale au quotient de l’énergie nécessaire pour produire la rupture par la section de la barre. © 2001 Hachette Multimédia / Hachette Livre http://www.wanadoo.fr/bin/frame.cgi?u=http%3A//www.encyclo.wanadoo.fr/rep.html%3Fstr%3Dr%25E9silience
Et même pour les matelas ! : les fabricants de matelas parlent aussi de résilience pour évoquer la qualité de leur production. Ici la résilience est la propriété qui permet à un corps de retrouver sa forme d’origine après une compression importante.
En Psy
La résilience est une capacité à faire face à un traumatisme sans en être affecté ultérieurement, ou à trouver un moyen de se reconstruire. De façon plus large, la résilience est une capacité à continuer sa vie après une souffrance ou un choc (même quand ce n’est pas un traumatisme). Elle définit une sorte de stabilité immédiate ou retrouvée.
Or il y a deux façons de garder ou de retrouver cet équilibre.
– Soit intégrer spontanément, ou assez rapidement, ce qui vient de se passer. Cela produit alors une authentique stabilité.
– Soit le mettre de côté. Cette parenthèse produit une stabilité temporaire (courte, durable ou même très durable).
Un contrat plus précieux qu’il n’y paraît
L’illusion de nuisance
Croire que nous sommes liés de façon néfaste à une circonstance antérieure douloureuse est une mauvaise interprétation du rapport qui existe entre ce qui est arrivé autrefois et les traces psychiques qui en restent aujourd’hui.
Si l’on croit que ce lien est néfaste, il est bien naturel d’essayer de s’en défaire… d’où la tentation de penser que «résilier» est le bon moyen.
Le piège consiste à croire que la liberté est assurée par une capacité à s’échapper, comme s’il s’agissait d’un mauvais contrat dont il faut savoir se débarrasser.
L’antagonisme entre les pulsions de vie et pulsions de survie nous montre qu’il s’agit là d’un leurre (voir article «humaniser la fin de vie» d’avril 2003 au chapitre «accompagner les pulsions de vie et de survie»).
La mise de côté temporaire (de courte ou de longue durée) peut être d’une très grande utilité, mais il convient de remarquer qu’il s’agit là d’une suspension de contrat et non d’une résiliation. Cela est loin d’être un inconvénient ! Il est même très heureux qu’il en soit ainsi.
Nature et noblesse du contrat intime
Il y a un contrat intime, inconsciemment gardé au plus profond de soi. Cependant, ce contrat n’a rien de pernicieux et de toute façon la résiliation en est impossible.
Il vise à la réhabilitation d’une part précieuse de soi qui a été meurtrie. Quand un symptôme présent se manifeste, il ne s’agit pas d’un passé qui vient nous polluer, mais d’un présent qui nous invite à ne pas oublier de prendre soin de ce «soi antérieur blessé» Nous sommes alors confrontés à deux forces antagonistes complémentaires:
1/ D’un côté, les attaches qui nous lient à celui qu’on a été. Ce sont elles qui génèreront les symptômes (le « murmure des fantômes »). Ainsi, elles permettront de ne pas perdre ces précieuses parts de soi et, ultérieurement, de reconstituer nos bases manquantes. C’est la manifestation inconsciente de notre pulsion de vie, garante de notre intégrité. Elle est là pour cette noble tâche et non pour nous importuner.
2/ D’un autre côté, nous ressentons le besoin d’éloigner de nous ce « Soi antérieur douloureux ». Cette pulsion de rejet et d’anesthésie a pour rôle d’assurer un confort temporaire acceptable. Celui-ci nous laisse le temps d’accroître notre maturité, afin de revisiter ultérieurement cette zone blessée et de l’ intégrer. C’est la manifestation, consciente ou inconsciente, de notre pulsion de survie, garante de notre possibilité de continuer, malgré une trop grande douleur.
Il n’y a donc rien à éradiquer, bien au contraire! Avoir pour projet de se débarrasser définitivement de ses zones blessées revient à faire le choix d’une amputation de soi, nous conduisant à perdre une part de nos fondements. Il s’en suit une vie de compensations dans laquelle, lorsque l’énergie diminue, le contrat intime reprend de toute façon ses droits.
En effet, la pulsion de vie n’a besoin d’aucune énergie pour s’exprimer. Quand un affaiblissement survient, la vie reprend ses droits. La part de vie blessée ressurgit, non pour nous nuire… mais pour qu’enfin on s’occupe d’elle.
C’est un peu comme dans le film «le sixième sens» http://www.plume-noire.com/cinema/critiques/sixieme.html . Le psy (joué par Bruce Willis) y aide un enfant voyant des revenants terrifiants. Il découvre qu’en fait ces revenants ne font que demander une aide. Une fois que cette écoute leur est accordée, la peur cesse aussitôt. C’est un regard intéressant sur le fameux «murmure des fantômes» de Boris Cyrulnik!
Nos «revenants», à nous, n’ont rien de métaphysique. Ce ne sont que des parties de soi, nous «demandant» une reconnaissance et une aide. Elles cessent de nous importuner dès que le contrat de réhabilitation et d’écoute est honoré (et non résilié). Il s’agit juste de s’occuper de soi.
Le coût de l’évitement
L’illusion de résiliation a un coût. La pulsion de survie consommera ici l’énergie nécessaire à la mise à distance.
Pendant ce temps, la pulsion de vie, portant au contraire vers l’intégration, reste intacte, prête à s’exprimer à la première «décompensation». Un jour ou l’autre, la pulsion de vie reprend toujours le dessus, car elle ne réclame aucune énergie. Comme une sorte d’élastique que l’on peine à tendre… et à maintenir tendu…. mais qui revient naturellement à sa position initiale quand la force vient à nous manquer.
La pulsion de vie ressurgit naturellement dès que les ressources qui la contrent sont épuisées. Cela peut prendre quelques jours ou quelques décennies… ou toute une vie (voir article « Humaniser la fin de vie »).
Il existe un curieux parallèle avec l’histoire des étoiles. Une étoile naît des forces gravitationnelles qui rassemblent la matière environnante contenue dans l’espace. Il arrive un moment où suffisamment de matière est rassemblée pour que la gravitation comprime celle-ci en une sphère dont la pression au centre allume un feu nucléaire. A partir de là, apparaît un équilibre entre deux forces opposées: d’un côté les forces gravitationnelles qui compriment l’étoile et de de l’autre, les explosions nucléaires qui la dilatent et s’opposent ainsi à ce « rassemblement ». L’étoile se met alors à briller. Mais la lutte est inégale car un jour le carburant est épuisé (après plusieurs étapes successives où il y a changement de la nature atomique de ce carburant) Alors, la gravitation reprend ses droits et l’étoile se comprime (le rassemblement reprend sa course)… jusqu’à devenir un trou noir. Et la physique nous dit mathématiquement qu’un trou noir est un lieu particulier où les propriétés du temps et de l’espace s’inversent, un lieu où il y a changement de dimension.
Nous remarquerons que la gravitation ressemble à la pulsion de vie (défragmentation) et les explosions à la pulsion de survie (dispersion). Au final on arrive à un changement de dimension ou la pulsion de vie l’emporte. Cette curieuse analogie illustre l’antagonisme pulsion de vie / pulsion de survie.
Résilience ou concilience ?
Dans la mise à distance durable, l’absence apparente de fracture cache en réalité une rupture intérieure qui devra plus tard être réconciliée. C’est quand il y a cette mise de côté durable que l’on devrait parler de «résilience» car c’est là qu’on tente de résilier et de tordre le cou à nos «fantômes».
Quand, au contraire, il y a intégration spontanée ou différée, le mot «résilience» ne convient plus. On devrait alors plutôt parler de «concilience».
Dans la résilience, il s’agit de «résilier», de se détacher de la part de soi blessée.
Dans la «concilence», il s’agit d’intégrer, d’honorer, de valider et même de «bichonner» cette part de soi blessée, qui de toute façon nous constitue.
Le fait que cette part de soi ait souffert ne justifie en rien qu’on l’abandonne. Avez-vous pour habitude d’abandonner quelqu’un sous prétexte qu’il souffre?
Cette part de soi sera «moins lourde» à porter en étant intégrée qu’en étant maintenue à distance. Comme par un invisible phénomène de levier, la situation sera d’autant plus pesante (grave, gravité, gravitation) qu’on tentera de la tenir plus loin de soi. Un tout petit kilo est moins dur à porter près du cœur qu’à bout de bras!
Types de stabilité suite à un choc
La notion de stabilité doit tenir compte de plusieurs facteurs.
D’abord l’expérience du choc
L’état reste-t-il vraiment inchangé après un choc? De quel état s’agit-il? L’état apparent correspond-il à l’état profond? Quand une expérience vient d’être vécue, il y a toujours un changement , car on ne peut pas faire en sorte qu’une chose qui s’est produite ne soit pas arrivée. Où sont les différences entre avant et après? Nous trouverons trois possibilités :
1 Stabilité réelle (intégration)
2 Stabilité temporaire forte (mise de côté durable)
3 Stabilité temporaire faible (mise de côté éphémère)
Naturellement nous ne choisissons pas délibérément l’une de ces trois solutions. Nous sommes automatiquement portés vers l’une ou l’autre en fonction de nos ressources du moment (internes ou externes).
La stabilité réelle
La stabilité réelle est une expression directe de la pulsion de vie. Ici, la lucidité permet l’intégration et fait qu’il n’y a pas de rupture intérieure cachée. Cette stabilité se produit (rarement) tout de suite ou (fréquemment) après un temps plus ou moins long. On pourrait nommer ce temps «temps de résilience» comme en biologie, mais ici, «temps de concilience» irait mieux.
Avantages : Il en résulte une réelle liberté, une stabilité durable, un sentiment de bien-être, une plus grande conscience de la vie et une plus grande maturité.
Inconvénients : Aucun. Mais il faut des ressources internes ou externes pour le réaliser.
Dans ce cas, l’intégration contribue à l’enrichissement de notre conscience et nous permettra de percevoir ultérieurement la vie avec de nouvelles nuances et plus de stabilité. Les bases en sont renforcées.
Le changement réside ici dans une plus grande conscience: une croissance de la lucidité, de la sensibilité (capacité à percevoir avec subtilité) et de la maturité.
Il est important de bien différencier cette stabilité réelle de la stabilité temporaire forte qui parfois lui ressemble.
Dans la stabilité réelle, l’intégration de ce qui est vécu se produit grâce aux ressources internes, passées ou présentes, et grâce aux ressources externes actuelles.
Les ressources internes sont: l’énergie physique, un passé relativement heureux, le fait d’avoir été apprécié par ses parents, d’avoir réussi des projets importants, d’avoir été entouré par des amis… etc.
Les ressources externes sont: essentiellement la qualité de l’environnement humain, mais aussi d’avoir des projets, d’avoir un certain confort de vie…
Un seul ou plusieurs de ces points suffisamment développés peuvent parfois suffire, mais l’aspect humain reste toujours le plus important .
L’intégration vraie ne peut résulter que d’une réelle maturation de la conscience. Le mot «résilience» est mal adapté pour désigner une telle attitude car l’idée de résilier est totalement à l’opposé. On ne peut intégrer quelque chose avec lequel on prend de la distance.
C’est pourquoi je préfère parler de «concilience». C’est-à-dire un état dans lequel on peut concilier en soi toutes les parties de soi qui nous habitent. Tous ceux que nous avons été fonctionnent alors ensemble, harmonieusement… de concert. D’ailleurs après un choc on dira qu’on est déconcerté, explosé, dispersé, cassé, brisé…
Dans ce cas de l’intégration, il s’agit d’un flux de vie qui s’écoule naturellement dans une structure psychique défragmentée (dossier psychothérapie : structure en puzzle).
On pourrait dire que la personne a ici la capacité de ne pas être éparpillée. Elle a «rassemblé ses esprits» et constitue un ensemble cohérent et stable. Quand ceci est accompli, le temps de concilience est bouclé.
L’analogie avec le disque dur d’un ordinateur est étonnante : s’il est fragmenté il «plante» souvent, s’il est défragmenté il est plus fiable. Un disque dur a tendance à fragmenter ses informations et tout possesseur d’un ordinateur est invité à régulièrement le défragmenter pour l’optimiser.
La stabilité temporaire forte
La stabilité temporaire forte est une expression de la pulsion de survie utilisant de bons points ressources. Les compensations sont actives car l’énergie disponible est importante. Elle est utilisée pour éviter ce qui fait mal. Cette mise à distance protège de la douleur, mais empêche l’intégration.
Avantages : Liberté temporaire permettant d’avoir une impression de bien être suffisante. Elle utilise des compensations actives et durables telles qu’énergie, projets, activisme (alors que la stabilité temporaire faible n’utilise que des compensations passives éphémères). Cela permet de masquer une douleur insupportable et constitue une aide à vivre importante.
Inconvénients : fort coût en énergie, anesthésie, situation d’illusion, refoulements, parfois somatisations et besoin impérieux de compensations qui, même si elles sont actives, créent une dépendance.
L’expérience douloureuse peut être refoulée durablement. L’énergie, les ressources internes et externes sont suffisantes pour éviter, mais pas pour intégrer. Sur le moment, la personne «assure». Elle donne le sentiment de bien s’en sortir. La fragilisation apparaîtra ultérieurement, en différé, parfois longtemps après, à l’occasion d’une baisse d’énergie. Pour le moment elle se dope à l’activisme, aux grands projets et aux passions.
L’état apparent reste intact (voir amélioré à cause du dopage), mais l’état intérieur porte une fracture invisible du dehors. Nous estimerons alors, à tort, que la personne est forte et solide. Nous serons donc très surpris le jour de son effondrement (décompensation)
L’apparence est que tout va bien, mais la rupture intérieure demeure. L’énergie disponible permet de se tenir vraiment debout. La zone meurtrie sera examinée plus tard grâce à la pulsion de vie qui la fera remonter à l’occasion d’un affaiblissement. Tant qu’il y aura de l’énergie, l’illusion de stabilité restera excellente.
La stabilité temporaire peut se maintenir de nombreuses années sans que la pulsion de vie ne fasse remonter les zones blessées. Mais les zones manquantes font que l’individu en stabilité temporaire doit agir sans cesse et se dépenser beaucoup pour maintenir l’illusion.
De plus il est «fragmenté». Une part de lui est éparpillée. La pulsion de vie reprendra plus tard ses droits, afin de réhabiliter les zones manquantes et de guérir fractures et amputations au plus profond de soi. Pour l’instant, le temps de concilience est en cours.
La stabilité temporaire faible
Ici, la pulsion de survie manque d’énergie et doit se contenter de maigres compensations exclusivement externes et passives.
Avantages : Aide à survivre, dans le dénuement de ressources physiques et psychologiques, malgré une pesanteur permanente.
Inconvénients : Aux inconvénients précédents (dépense d’énergie, situation d’illusion, refoulements, somatisations) s’ajoute une dégradation physique par usages de compensations rapides passives et souvent nocives (excès de tabac, alcool, psychotropes, friandises …) Il y a donc des risques de dégradation physiques venant s’ajouter à la souffrance psychique.
L’énergie ou les ressources intérieures sont terriblement insuffisantes. La fragilisation apparaît instantanément. L’état apparent est affecté. La fracture est évidente et la personne touchée est portée à mettre en œuvre diverses compensations passives pour s’aider à vivre. Son entourage estimera qu’elle est faible et fragile, sans force, sans volonté.
C’est effectivement une réalité, mais pour s’en sortir, elle n’a surtout pas besoin qu’on la juge. Elle a besoin de trouver dans son environnement humain une ressource qui sera toujours plus efficace dans la considération que dans la condamnation.
La pulsion de survie a ici peu de moyen pour masquer le manque. Mais l’énergie reste néanmoins suffisante pour se jeter dans des compensations immédiates, passives, souvent nocives.
En effet, ces compensations (telles que alcool, tabac ou drogue, boulimie…) nécessitent tout de même un minimum de possibilités physiques. Comme elles produisent des altérations biologiques, il arrive un moment où la santé ne permet même plus cela !
Nous ne parlerons bien sûr jamais de résilience dans ce cas. Pas de concilience non plus. C’est une situation de fragilité évidente dans laquelle l’entourage invitera maladroitement la personne à être forte plutôt qu’à se rencontrer. (voir l’article de juin 2001 «dépression et suicide»). Ici le temps de résilience peine à commencer ou, s’il est en cours, il rencontre une période d’affaiblissement.
Pour favoriser la concilience
Importance du choc
et importance de l’événement
Quand un choc est important, il est bien rare que l’intégration soit spontanée. Certains individus dits «résilients» s’en relèveront, même s’il leur faut quelques mois ou quelques années alors que d’autres resteront affectés toute leur vie.
Pour aider les personnes choquées à mieux s’en sortir, l’Etat organise généralement des cellules de crise après un drame (attentats, cataclysme, accident grave comme avec AZF à Toulouse). Des psy y viennent offrir aux victimes un lieu de parole et d’écoute, une zone de ressource immédiate qui atténuera les conséquences ultérieures de la violence de l’évènement.
Heureusement, tout le monde n’est pas forcément confronté à des faits de cette ampleur. Même si ce sont de tels drames qui ont amené les psy à observer que certaines personnes sont résilientes et d’autres non, il existe aussi de nombreuses situations «anodines» provoquant des chocs.
Nous en trouvons un certain nombre dans l’enfance, non pas parce que les parents ont été de mauvais parents, mais parce qu’un enfant n’a généralement pas les ressources intérieures suffisantes pour faire face à tous les désagréments de la vie. D’autre part, ceux qui l’entourent, et qui l’aiment, pensent d’avantage à le rassurer qu’à l’entendre. Il doit ainsi se résoudre au silence de ses ressentis.
Les parents tentent de bien mener leur vie d’homme et de femme. Ils tachent aussi d’être de bons parents. Malgré cela, l’enfant ressent forcément une foule de choses qui leur échappe et dont il doit se débrouiller tout seul. C’est ainsi qu’il construira sa maturité.
Quand il peine à intégrer ce qu’il ressent, il est alors amené à enfouir en lui une zone douloureuse jamais révélée, jamais vraiment entendue, jamais vraiment considérée.
C’est ainsi que dans l’exemple cité plus haut, un homme adulte reste marqué par ce jour où, à 10 ans, il a perdu ce chien qui était, pour lui, un précieux confident. Ses parents ont certainement envisagé d’être délicats, mais ils ont probablement plus tenté de l’apaiser que de l’entendre… il a donc du garder sa peine… jusqu’au jour où il l’aborde en thérapie.
Un grand espoir de mieux être
Que ce soit aussitôt après le choc ou beaucoup plus tard (plusieurs décennies après), une réhabilitation reste toujours possible. Il faut bien comprendre que la douleur résiduelle ne vient pas de ce qui est arrivé mais de ce qu’on en a fait.
Même si, instinctivement, nous préfèrerions que notre douleur résiduelle soit «la faute de l’événement traumatisant», il n’en n’est rien. C’est juste ce que nous en faisons qui engendre douleur ou apaisement actuels. Il est heureux qu’il en soit ainsi car cela signifie que nous y pouvons toujours quelque chose.
Cela signifie aussi que notre vie nous appartient et que rien n’est écrit pour toujours.
Croire que l’évènement est la seule cause de la trace douloureuse ultérieure reviendrait à se désespérer. Cela signifierait l’impossibilité d’aller mieux, puisqu’on ne peut supprimer le fait que cet évènement soit survenu.
Comprendre que la douleur résiduelle ne vient pas de l’évènement, mais de ce qu’on en fait, implique une possibilité de mieux être, même longtemps après. C’est pour cela qu’une psychothérapie fonctionne.
Comme nous venons de le voir dans le paragraphe précédent, nos zones de vie blessées ne sont pas toujours liées à des circonstances dramatiques! Quand nous recherchons les zones à réhabiliter, il convient donc de ne pas forcément rechercher un passé catastrophique, mais juste d’aller là où « ça » se trouve. Pour localiser la zone exacte, le moyen est le guidage non directif.
Le guidage non directif n’est pas le thème de cet article. Peut être en écrirai-je un, spécialement sur ce sujet. Pour le moment, vous trouverez des éléments à ce propos, soit sur ce site dans le dossier psychothérapie, soit dans mon ouvrage « l’écoute thérapeutique » page 150
La médiation incontournable
Non seulement ce n’est pas la gravité de l’événement qui fait l’importance de notre douleur mais, en plus, la source de notre douleur résiduelle, n’est même pas reliée à cet événement proprement dit ! Notre douleur résiduelle est uniquement liée à notre vécu quand nous y étions et à ce que nous en avons fait aujourd’hui.
La trace de notre vécu, est plus importante que ses circonstances historiques. La mémoire de l’événement n’est qu’une sorte de vidéothèque mentale. C’est cette mémoire que nous utilisons pour apprendre nos leçons à l’école. La parcourir n’est qu’une démarche intellectuelle non libératrice… Dans le cas de traumatismes, c’est elle qui nous conduit à ressasser jusqu’à l’obsession.
Nous savons très bien nous accrocher au souvenir (mémoire obsessionnelle) et, en même temps, garder une distance avec celui que nous étions dans cette circonstance qui nous obsède.
S’occuper de la zone historique ne conduit à rien de libérateur (la rejeter non plus). Ce qui importe c’est de s’occuper de celui que nous étions lors de cette circonstance.
La douleur a engendré une rupture (fracture) entre celui que nous étions à ce moment là et celui que nous sommes devenu. C’est une sorte de sécurité d’urgence en attendant des ressources suffisantes.
La douleur résiduelle dans le présent n’est autre qu’un indicateur (un marqueur) qui permettra d’y revenir pour lui apporter le soin nécessaire. Ce marqueur, pareil à une balise Argos, est garant du fait que nous ne perdrons pas cette précieuse part de soi en attente d’attention et de soin, perdue dans l’océan de notre inconscient.
La réparation consistera en une médiation entre celui que nous étions et celui que nous sommes devenu. C’est une remise en contact pour réduire la fracture, jusqu’à consolidation. C’est ce qui nous permet de restaurer notre intégrité et de guérir de nos diverses amputations de soi, de guérir de nos vides et de nos maux psychologiques, de guérir de nos diverses fragilités et autres manques d’affirmation de soi.
Un projet d’équilibre toujours préservé
Dans tous les cas
le projet d’équilibre reste actif
Quand une personne est réellement stable suite à un choc, nous n’avons pas de mal à comprendre que les mécanismes visant à préserver cette stabilité aient bien fonctionné. La pulsion de vie permet une intégration qui conduit l’individu à s’enrichir d’une expérience nouvelle. Cela accroît sa conscience du monde environnant et le rendra même plus stable lors de chocs ultérieurs.
Par contre, quand une personne n’a qu’une stabilité temporaire ou pas de stabilité du tout, nous peinons un peu plus à comprendre que, là aussi, des mécanismes de stabilités sont à l’œuvre.
Or dans tous les cas, le projet est de réaliser une stabilité satisfaisante compte tenu de ce qui est disponible et de ne jamais perdre le projet de stabilité réelle, même si celle-ci ne s’avère possible que longtemps après.
Même si ce retour ne se produit que dans de nombreuses années, même si le contenu de ce qui a fait le choc est devenu tout à fait inconscient, voir amnésié, il y a toujours deux pulsions antagonistes à l’œuvre qui veillent et préservent un possible retour à l’équilibre.
Ces deux pulsions sont, d’une part la pulsion de survie qui permet de garder à distance ce qui gêne, afin ne pas trop souffrir (cela coûte de l’énergie), et d’autre part la pulsion de vie qui préserve, dans l’inconscient, l’existence de tout ce qui devra un jour être réhabilité (cela s’exprimera de toute façon plus tard, sans qu’aucune énergie ne soit nécessaire).
D’un côté les informations sont mises entre parenthèse, d’un autre elles sont préservées de tout effacement intempestif afin que celui que nous étions dans cet instant douloureux ne soit pas définitivement perdu. Il reste ainsi toujours possible d’accéder à cet équilibre, même longtemps après.
Mécanisme de mise en attente
Quand l’intégration immédiate n’est pas possible, un mécanisme de mise en attente prend le relais. C’est l’œuvre de la pulsion de survie qui assure ainsi une mise à distance, une sorte d’anesthésie partielle.
Le phénomène est analogue lors d’une blessure corporelle. La blessure est souvent aussitôt suivie d’une auto anesthésie physique. Quand dans un accident une victime est blessée, même gravement, il arrive souvent que la douleur immédiate ne soit pas ressentie. Cela lui permet de trouver la ressource nécessaire pour « sauver ce qui reste » et demeurer en vie! La douleur n’apparaîtra que plus tard.
De même, dans un choc psychique, il y a aussi fréquemment auto anesthésie. C’est ainsi par exemple qu’au moment d’un deuil une personne peut donner l’impression que cela ne la touche pas. En réalité elle s’est auto anesthésiée pour ne pas souffrir et surmonter ce moment inconcevable. Là aussi, la douleur n’apparaîtra que plus tard.
Quand l’état apparent est stable, il convient donc de ne pas oublier la différence entre l’intégration (stabilité réelle) et la compensation (stabilité apparente) qui n’est qu’une forme d’anesthésie.
La stabilité apparente est possible grâce à cette mise à l’écart de ce qui, en nous, vient de souffrir.
[h6]Les parts de soi, ainsi isolées, sont stockées dans l’inconscient.
[/h6] Ce dernier, pareil à une «nounou bienveillante», va en assurer la garde jusqu’à ce que nous soyons en moyen des les récupérer et de leur apporter le soin nécessaire.
Quand les points ressources sont insuffisants pour intégrer, mais néanmoins suffisants pour compenser, il permettent d’une part la mise en attente de la zone douloureuse et d’autre part la capacité d’actions compensatrices pour faire «comme si de rien n’était».
Cette première étape (anesthésie, déni, rejet protecteur), s’accompagne d’un effet de stupeur dans lequel «on n’y croit pas». Entre cette anesthésie protectrice et le moment de l’intégration, il s’écoule un temps plus ou moins long (de quelques heures à quelques décennies). Nous trouverons généralement ici des étapes similaires à celles qui ont été souvent évoquées dans la fin de vie : Déni, Révolte, Négociations/compensations (Marchandage), Déprime, Acceptation (voir article sur la fin de vie d’avril 2003 – Stratégie face à l’inacceptable).
Nous tendons tous vers l’équilibre dans un processus de durée extrêmement variable.
Mécanisme de rappel automatique
L’inconscient, pareil à une «nounou», assure donc la garde des parts de soi blessées, que notre immaturité du moment ne nous a pas permis d’emmener avec nous.
Cette «nounou», personnifiant notre pulsion de Vie, nous invite régulièrement à récupérer nos «petits». Ainsi, nous ressentirons souvent une réminiscence surgir en nous pour nous proposer d’accomplir l’intégration attendue. Une sorte de rappel automatique, régulier, auquel nous répondons ou auquel nous ne répondons pas.
Naturellement à chacun de ces rappels nous ressentons un certain inconfort. C’est ainsi que nous éprouvons la douleur ancienne sans que le présent ne la justifie (pulsions, phobies, mal-être, troubles du comportement, angoisses…). A ce moment, libre à nous de compenser ou d’écouter (en fait, nous faisons ce que nous pouvons, avec toutefois une petite part de liberté).
Dans ces moments de réminiscence, il est bon de comprendre que ce n’est pas notre passé qui nous pollue, nous harcèle ou nous hante (le fameux «murmure des fantômes» de Boris Cyrulnik !). C’est juste notre présent qui nous invite. Il nous invite à offrir, à ces parts de soi blessées, l’attention et le soin qui leur a manqué autrefois. Il nous invite à restaurer notre intégrité et notre stabilité authentique. Il nous offre une opportunité.
Comprenant cela, quand une personne est en souffrance psychologique, le psychothérapeute aura soin d’être l’allié de ce mécanisme de vie.
Ces symptômes sont pour le patient comme des «portes vers les étoiles qui sont en lui», vers ces bouts de soi précieux et oubliés. Des sortes de «star gate»offrant un accès direct au plus profond de soi pour y accomplir les réhabilitations nécessaires.
Pour voir ces «étoiles» qui sont en soi, il est parfois nécessaire de diminuer la «lumière» (les compensations). La lumière nous permet de voir ce qui nous entoure, et c’est très commode ! Mais la nuit nous permet de voir des étoiles lointaines et c’est très bien aussi.
De cette manière, quand notre énergie diminue, parfois en situation de déprime, nous prenons conscience de ce qui nous habite (voir article de juin 2001 « Dépression et suicide »).
Cependant, quand il n’y a plus d’énergie, si la maturité n’est pas au rendez vous, si ces réminiscences sont trop douloureuses, en l’absence d’aide, la personne peut parfois aller jusqu’à souhaiter ne plus vivre… et même envisager le suicide pour échapper à tout ça… Beaucoup de vigilance s’impose alors à l’entourage! Chez le suicidaire, la pulsion de survie l’emporte sur la pulsion de vie. L’évitement va ici jusqu’à éviter la vie… au point de la supprimer. Dans de tels cas, une aide extérieure est incontournable (voir article « Dépression et suicide ») .
Le psychothérapeute sera un allié de la pulsion de vie, mais il respectera la pulsion de survie. Il ne forcera jamais une résistance de son patient, considérant que celle-ci a toujours une raison d’être (même si ce n’est que momentané). Il aidera son patient à ne pas négliger ce qui s’exprime en lui.
Le psychothérapeute ne forcera jamais un chemin qui n’est pas le bon ou qui ne se présente pas au bon moment. Il ne se placera jamais comme «celui qui sait» face à «un patient ignorant». Au contraire, le seul qui sait, c’est le patient.
Le psychothérapeute respectera humblement les indications des ressentis de son patient dont il suivra le «fil de raison» comme un fil d’Ariane (voir l’ouvrage l’Ecoute thérapeutique page 51). Il accompagnera ainsi son patient vers ces parts précieuses de soi qu’il cherchait déjà à retrouver et à réhabiliter. En fait il ne fera qu’accompagner son patient, dans la démarche que celui-ci faisait déjà inconsciemment.
Pour accomplir cet accompagnement, le psychothérapeute utilisera le guidage non directif. Grâce à son «non savoir» il sera un guide efficace (voir l’article de avril 2001 «le non savoir source de compétence»)
Une fois les parts de soi retrouvées, reste à réaliser la réhabilitation, cette intégration qui restaurera une stabilité authentique.
L’opportunité de réhabilitation
Puisant dans des images simples et communes à tous, j’ai osé utiliser des notions de «nounou» ou de «star gate» pour illustrer mon propos concernant le stockage et la réminiscence.
De la même façon, j’utiliserai cette fois-ci notre mythologie populaire en empruntant un conte. La stabilité sera retrouvée quand celui que nous sommes aujourd’hui saura se pencher vers celui que nous étions, lors du traumatisme.
Cette part de soi endormie, qui se réveille une fois entendue, écoutée, reconnue et validée… cela rappelle l’histoire de «la belle au bois dormant» où la princesse (le soi d’autrefois manquant de vie), endormie par un maléfice, se réveille le jour où son prince (prince=premier= le soi présent) se penche sur elle avec amour. Comme dans tous les contes, ensuite, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants… De l’alliance entre celui que nous sommes et celui que nous étions, naîtront tous ceux que nous deviendrons.
C’est un peu comme si ce conte évoquait notre histoire intérieure, dans laquelle nous tenons tous les rôles en même temps. Nous pourrions voir la même chose dans d’autres contes ou dans les mythologies anciennes. Cela ne prouve pas du tout que c’est ce que voulaient dire les anciens, mais ça illustre bien le propos de cet article.
La fracture initiale, lors du choc, a séparé celui que nous étions de celui que nous devenons. En même temps que cela crée un soulagement en éloignant la douleur, cela engendre aussi un vide au plus profond de soi. Notre esprit s’est ainsi éparpillé, fragmenté, dispersé, victime d’une sorte d’entropie psychique où l’esprit se disperse et se désorganise dans un espace plus vaste et plus vide.
Comme dans un puzzle dont on aurait enlevé une pièce, notre structure psychique tend à retrouver celle-ci et à la remettre à sa place. La pulsion de vie assure ainsi une sorte de néguentropie dans laquelle la structure tend à reprendre sa forme et dans laquelle ce qui était dispersé se rassemble.
En physique, l’entropie (souvent assimilé à un « désordre croissant ») désigne que l’information se disperse et disparaît ; la néguentropie(entropie négative) désigne, au contraire, que l’information se structure, se rassemble ou augmente. Ces notions, venant de la thermodynamique sont appliquées à différents systèmes.
Ce qui se passe concrètement :
Le patient répondant favorablement au «rappel automatique» peut mettre son attention sur celui qu’il était au moment du choc. Dans l’imaginaire, en visualisation, celui qu’il est aujourd’hui s’en «approche» et accepte de le reconnaître, d’en être le confident, l’ami, et de l’entendre enfin comme personne ne l’a jamais vraiment entendu.
Après l’intégration, le sentiment de bien-être s’accompagne pour le patient d’une impression d’intégrité retrouvée, comme s’il n’y avait plus ce vide. Il se sent en même temps plus plein et plus léger.
Il peut désormais repenser à ce qui s’est passé ou ne plus y penser. Il en est vraiment libre. Il en a le souvenir sans en avoir l’obsession ou la douleur.
Le mieux être est instantané au moment de la réhabilitation, mais le chemin pour y parvenir peut être plus ou moins sinueux et demander un peu de temps.
Sources et ressources intérieures
Quand il y a un choc ou un traumatisme, tout se résume à un écoulement de vie interrompu, entre celui qu’on est et celui qu’on était.
La communication ne passe plus entre eux. C’est une sorte d’infarctus de «l’âme», de la structure psychique.
Être communicant, c’est être ouvert (voir le dossier communication ou l’article assertivité). Dans cette fracture intérieure, il n’y a plus de passage. La porte s’est fermée et la vie ne s’écoule plus. Il n’y a plus de communication intérieure entre le soi présent et le soi antérieur.
Ainsi, nous ne donnons plus notre ressource à notre passé et celui-ci ne nous fournit plus la base dont nous aurions besoin.
Le projet d’équilibre est malgré tout préservé. Le rétablissement de l’écoulement de vie (ouverture, communication) s’accomplira ultérieurement. Cela se réalisera, soit seul avec la maturité ou un environnement favorable, soit à l’aide d’un thérapeute.
Générateur de vides : Réflexe de mise à distance
Utilité: permet de ne pas subir trop de souffrances immédiates. L’anesthésie dure plus ou moins longtemps.
Par contre, la propension à essayer d’oublier ce qui fait mal risque d’évoluer en rappel obsessionnel ou en somatisation. Vouloir oublier la circonstance conduit à prendre de la distance avec celui qu’on était, mais, paradoxalement, accroche à l’évènement. Or pour être libre de l’évènement il importe de se rapprocher de celui qu’on était.
Ce réflexe de protection dure tant qu’on mélange l’évènement et celui qui l’a vécu. Cette pulsion de mise à distance laisse en soi un vide que les compensations ne remplissent pas. Elles ne font que le masquer.
Générateurs de «faux pleins» : Compensations salutaires
Utilité : permet de prolonger la mise à distance sans éprouver de manque. La personne peut même être sincèrement convaincue que tout va bien en ne se posant pas trop de questions. Elle sera particulièrement adepte de la fameuse remarque « tu t’écoute trop! ».
Les multiples compensations, consommatrices d’énergie, viennent masquer ces vides. Selon l’énergie disponible, ces compensations seront actives ou passives.
Quand il y a de l’énergie : Activisme, excès dans le sport, dans le travail, dans des passions diverses (avec risque d’épuisement à long terme).
Quand il y a peu d’énergie : Alcool, psychotropes, addictions, drogues, boulimie… (avec risque de dégradation physiologique à long terme).
La combinaison des deux possibilités nous conduit vers une attitude cyclothymique alternant l’euphorie agitée et l’effondrement.
Révélateur de vide : La Déprime «visibilité du vide»
Utilité : permet de voir ce vide. Il devient alors possible d’envisager de « faire le plein » et d’accéder aux « générateurs de plénitude ».
Dans les phases basses, la disparition ou la baisse de l’énergie conduit à ne plus pouvoir masquer ses vides. Cette «décompensation» se traduit par un manque d’intérêt pour toutes les futilités (autrefois amusantes). En réalité, il s’agit d’une invitation à restaurer sa capacité d’attention, envers les parts de soi, autrefois écartées de la structure psychique lors des moments de douleur.
Les moments de déprime sont une opportunité, une sorte de silence nécessaire pour retrouver «ces étoiles qui sont en soi» et que nous avions reléguées à l’autre bout de notre univers intérieur. Quand cette phase est trop douloureuse, elle doit être accompagnée par un psychologue ou un psychothérapeute. Elle peut même, en plus, nécessiter un accompagnement médicamenteux prescrit par un médecin psychiatre. Attention : cette douleur est souvent aggravée par le déni de l’entourage qui tente de redopper le dépressif, plutôt que de l’entendre et de l’aider à se rencontrer.
Générateur de plénitude : La réhabilitation
C’est l’aboutissement : Le seul véritable générateur de plénitude est la réhabilitation.
Dans tous ces cas, le projet inconscient est cette réhabilitation de celui que nous étions, afin de ne plus avoir de vides en soi. A chaque part mise de côté, correspond un vide, que notre pulsion de vie nous porte à combler (en nous invitant à réhabiliter celui que nous étions). Il ne s’agit, ni plus ni moins, que de rétablir une communication entre soi et soi. Nous trouvons cela aussi en situation de fin de vie. Voir l’article Humaniser la fin de vie au paragraphe «accompagner les rencontres».
Une ressource réciproque
Celui qu’on est peut alors être une ressource pour celui qu’on était. A son tour, celui qu’on était vient remplir la place laissée vacante dans notre structure psychique et permet de mieux asseoir sa base, sa stabilité. Le puzzle n’a plus de pièce manquante. La structure psychique a retrouvé son intégrité et peut poursuivre sa croissance.
Entre celui que nous sommes et celui que nous étions, cet « aller retour » porte instantanément ses fruits. Dès que cela est fait, le mieux être est immédiat.Cependant, les étapes précédentes peuvent demander un temps plus ou moins long.
Résilier n’est pas réhabiliter
A travers la description de ces mécanismes préservant un possible retour à l’équilibre, nous voyons clairement que la stabilité réelle ne peut venir d’une résiliation. Le seul fait d’envisager l’idée de résiliation montre une faille dans l’approche que l’on a des souffrances psychologiques.
En effet, il ne s’agit pas de «résilier» mais de «réhabiliter». Il ne s’agit pas de «recul» (resilire sauter en arrière), mais «d’ouverture» et d’«aller vers» ou de«laisser venir à soi».
Naturellement la résilience, en biologie, en industrie et en physique désigne une capacité à ne pas rompre ou à retrouver son état initial après une agression, un choc ou une perturbation quelconque. Pourtant, l’idée que pour un être humain cela s’accomplit avec une résiliation, une distanciation ou un combat est un piège.
Le piège d’une attitude guerrière
Vouloir tordre le cou à ce qui est en nous, mener un combat contre sa douleur et de tenter d’exorciser le mal qui nous habite, sont des concepts risqués. Même quand ils offrent d’apparentes accalmies, à long terme, il y aura une décompensation.
Nous sommes dans une culture très guerrière. Après les exorcistes du moyen âge et les vieilles croisades, le combat contre la mal se poursuit de façon laïque, discrète… mais tellement présente : il faut être positif, ne pas se laisser toucher par ce qui est négatif (sous peine «d’excommunication»), aller à un entretien avec des munitions, être battant, être convainquant, ne pas s’écouter, se dépasser, être armé pour la vie, savoir changer son fusil d’épaule…
Comme je l’ai détaillé dans mon article de Juin 2003 « Apaiser la violence », l’être humain utilise son intellect de la même façon que l’animal utilise ses griffes et ses crocs. Pour passer, du stade animal à celui d’humain, cela nécessite plus qu’un simple développement intellectuel. Sinon, il reste dans une chorégraphie de proies et de prédateurs qui ne fait que tourner en rond, que ce soit avec autrui ou avec soi-même.
Tendresse et reconnaissance envers celui qui a souffert
Loin d’être un combat, il s’agit d’une histoire d’amour entre le soi actuel et le soi antérieur.
Pour accomplir cette rencontre salvatrice, nous devons d’abord apprendre à distinguer, d’une part la circonstance traumatisante, et d’autre part celui qui l’a vécue. Aussi néfaste que soit la circonstance, la valeur de celui qui l’a vécue et qui en a souffert reste ainsi préservée.
Aider quelqu’un qui a vécu un traumatisme consiste à l’accompagner dans ce processus où il devient distinct de celui qu’il était au moment du traumatisme, qui est lui-même distinct de la circonstance traumatisante.
Nous avons donc trois éléments :
– La circonstance blessante,
– Celui qu’il était quand il l’a vécue,
– Celui qu’il est devenu aujourd’hui.
Le cheminement de réhabilitation consiste en une restauration de la communication entre celui qu’il était et celui qu’il est devenu.
Dans les fait historiques aussi graves que les camps de concentration, nous entendons souvent parler du «devoir de mémoire». S’il est très important de ne pas oublier ce qui s’est passé, l’essentiel du «devoir de mémoire» devrait concerner surtout le vécu des êtres meurtris plutôt que seulement les évènements. Aussi horrible que soit l’évènement, les êtres qui l’ont vécu restent infiniment précieux.
Si, malencontreusement, le souvenir des événements prend le pas sur le vécu des êtres qui en ont souffert, c’est un peu comme si on leur faisait offense de déni.C’est alors un réel manquement au devoir de mémoire. Ceux qui enseignent l’Histoire peuvent s’interroger sur la nécessité d’évoquer les êtres en priorité avant les faits, afin de satisfaire à la qualité de la mémoire collective et à la reconnaissance. Si la mémoire des faits est très importante, celle des êtres meurtris l’est encore plus.
Il en est de même pour chacun dans son histoire personnelle.
Apprendre à concilier celui que nous sommes aujourd’hui avec ceux que nous étions autrefois est une façon d’accroître son intégrité et de guérir ses vides intérieurs. De cette façon, les «fantômes» de Boris Cyrulnik n’auront plus besoin de murmurer! Il étaient simplement «ce soi antérieur qui réclame écoute et reconnaissance», afin de restaurer notre base et de nous consolider pour l’avenir.
La vie et l’énergie
La tentation du combat intérieur vient du fait que maladroitement, toutes les démarches reposent sur l’énergie. De l’énergie pour, de l’énergie contre… toujours de l’énergie. Or il faut comprendre que l’Energie conduit à faire (ou avoir) alors que la Vie conduit à Être.
Tant que nous envisageons d’investir de l’énergie pour nous en sortir, c’est que nous sommes encore dans une démarche de combat plutôt que dans une démarche de vie.
Dans la «concilience», il ne s’agit pas d’énergie mais d’ouverture. Laisser s’écouler la vie en soi. Laisser revenir la vie là où elle n’était plus. Rétablir ce canal de soi vers soi. Etre une ressource pour celui qu’on était et lui permettre ainsi d’être notre base d’existence, notre fondation.
La pulsion de survie est fondée sur l’énergie (beaucoup d’actions), la pulsion de vie est fondée sur la Vie (juste être).
Les deux sont complémentaires et tiennent leur place, mais il importe de ne pas les confondre.
Les précieuses retrouvailles
Quelque soit le mot utilisé (résilience ou concilience) il importe de bien comprendre qu’il ne s’agit surtout pas d’une résiliation.
Le contrat est en réalité précieux et il s’agit plus de l’honorer que de l’évacuer. C’est un moment de retrouvailles avec soi-même.
Temps de résilience
Avoir bouclé son temps de résilience
Les biologistes parlent de temps de résilience pour indiquer le temps qu’il faut à un écosystème pour retrouver son équilibre après une perturbation (nous l’avons vu au début de cet article). De même, en psychologie, nous devrions parler de temps de résilience afin d’indiquer le temps qu’il faut à un individu pour retrouver son équilibre après une perturbation.
Dire que quelqu’un est résilient est impropre. Nous devrions dire qu’il a bouclé son temps de résilience. Cette durée est propre à chacun. Elle dépend du type de choc, des ressources internes et externes de la personne et peut durer de quelques heures à quelques décennies.
Dire que quelqu’un est résilient sous-entendrait qu’il l’est instantanément et qu’il posséderait une sorte de «force initiale» le rendant invincible… alors qu’il y a toujours au moins un petit différé. Dire que quelqu’un est «Résilient» sous entend qu’«il a un temps de résilience court».
TEMPS DE CONCILIENCE
Ce « temps nécessaire pour boucler le processus », se trouvera nommé avec plus de justesse si nous l’appelons temps de concilience.
A partir du moment du choc, un individu va suivre différentes étapes le conduisant à la fin de son temps de concilience. Ce temps est bouclé quand il a su concilier, en lui, celui qu’il est maintenant avec celui qu’il a été au moment du choc. Il aura ainsi réduit sa fracture par la réalisation d’une médiation intérieure.
Les étapes de cette médiation, qui vont se succéder depuis le choc jusqu’à la fin du temps de concilience, ressemblent beaucoup à des étapes connues dans un autre domaine.
Les étapes vers la concilience
Ces étapes sont connues dans les situations de fin de vie. Je ne les reprendrai pas en détail puisqu’il vous suffit de cliquer sur les liens ci-dessous pour accéder aux données se trouvant dans un autre article consacré à ce sujet. Il s’agit de l’article Humaniser la fin de vie au paragraphe «Stratégies face à l’inacceptable».
Cinq étapes pour arriver à la concilience.
1/ Déni. Anesthésie spontanée face à l’impossible.
2/ La colère du réveil, violence et même parfois haine.
3/ Se soutenir par quelques espoirs et compensations anxiolytiques.
4/ La dépression face à la réalité, «je dois vivre avec « ça »».
5/ L’acceptation, l’intégration, la réconciliation, la réhabilitation.
Finalement, arriver à la concilience, c’est avoir traversé ces cinq étapes, en un temps plus ou moins long, allant de quelques heures à quelques années ou décennies. Il est intéressant de remarquer que le phénomène qu’on appelle «résilience» n’est ni plus ni moins que cette capacité à parcourir ces étapes et à aboutir à la réhabilitation, à la reconstruction, à la défragmentation de l’être qui s’est vu explosé, déconcerté, éparpillé, détruit.
Dans le cas de la fin de vie, cela concerne un événement futur inacceptable. Dans le cas de choc ou de traumatisme, cela concerne un événement passé inacceptable. Dans les deux cas nous trouverons des analogies dans la maturation du vécu.
Pour conclure
J’espère que cet article aura contribué à étoffer le regard de chacun (néophytes ou spécialistes) sur ce sujet, conduisant à une affirmation de soi sans ego, à plus d’assertivité, à plus de considération et à un apaisement des anciennes blessures.
Que le chemin se fasse seul, de façon naturelle, qu’il se fasse dans son entourage avec le soutien d’un proche ou qu’il se fasse avec un psychothérapeute, cet article vous montre qu’une liberté d’esprit est possible après un choc ou un traumatisme.
Si l’apaisement tarde trop, il est toujours possible de solliciter l’aide d’un professionnel sérieux avec lequel la qualité de l’échange et du cheminement thérapeutique sont en harmonie avec vos attentes.
Comme pour tous les autres articles de ce site, j’ai eu plaisir à mener cette réflexion à votre intention. Je recevrai aussi avec plaisir vos remarques (accords ou divergences de points de vue) et vos expériences, si vous le souhaitez.
Thierry TOURNEBISE
Consulter l’article sur le site de Thierry Tournebise ICI
Étiquettes : Boris Cyrulnik, Maïeusthésie, Résilience, Thierry Tournebise
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