Mieux-être
24 septembre 2017 par Luci SogorbCHALEUREUSE RENCONTRE AVEC SOI-MÊME
de Thierry Tournebise (fondateur de la maïeusthésie)
Initialement édité chez Dangles dans la collection « Psycho-soma » 1996 Dangles n’édite plus cet ouvrage. Il est ici édité par l’auteur lui-même, à qui les droits ont été restitués par Piktos (successeur de Dangles) le 02/11/2011 ©Edition en ligne par Thierry TOURNEBISE 2014 (Bergerac – France) site internet www.maieusthesie.com
Mieux-être
1 Trouver des causes à tout prix
Il arrive que nos journées soient lumineuses. Nous y sommes rayonnants. D’autres fois, elles nous semblent maussades, et nous nous y sentons un peu éteints ou accablés.
Quand la cause nous paraît évidente, il y a quelque chose de rassurant. L’inconfort que nous ressentons quand nous sommes confrontés à des insatisfactions présentes ou à des problèmes importants est presque « confortable » dans la mesure où les circonstances extérieures expliquent parfaitement notre état: il y a souffrance, mais souffrance explicable.
Ce besoin d’un minimum de confort ou de réconfort (même s’il est relatif) nous conduit à rechercher des « causes » à tout prix.
Par exemple, quand nous ne parvenons pas à justifier notre état, la météo peut venir à notre secours : « Qu’est-ce qu’on se sent triste avec ce temps gris ! » Et voilà, le tour est joué, nous avons le sentiment d’avoir trouvé la raison.
S’il est vrai que le temps qu’il fait peut avoir une influence sur nous, ce qui s’avère désagréable pour certains peut cependant être agréable pour d’autres. La pluie peut aussi bien être réjouissante car elle abreuve les potagers, permet d’aller chercher des escargots ou annonce la possibilité prochaine d’aller aux champignons dès que le soleil reviendra… Nous voyons là que notre moral ne dépend pas du temps qu’il fait, mais de ce qu’il représente pour nous en fonction de nos centres d’intérêt.
En vérité, nous ressentons souvent un mal-être dont nous identifions mal la cause et nous l’expliquons à la hâte par la première raison qui nous passe par la tête (la météo, le travail, le conjoint, les enfants, ainsi que les objets et les plaisirs qui nous manquent). Parfois, quand le mal-être est trop important, nous savons bien qu’il y a quelque chose de plus profond, mais cela paraissant inexplicable nous nous en sentons encore plus affligé.
C’est le cas de certains états dépressifs, de phobies, d’angoisses, de pulsions ou d’inhibitions indésirables, de traits de caractère encombrants (on se plaint tout le temps, ou on se met toujours en colère, on se sent souvent persécuté, etc.).
Les situations présentes n’expliquant pas ces écarts de comportement, ceux-ci nous dérangent encore plus.
Alors, la psychologie vient à notre secours pour nous apporter des explications plus sophistiquées : cela vient de notre inconscient, ce sont des problèmes de l’enfance qui ressurgissent, de vieilles blessures qui refont surface, etc. D’une certaine façon cela est vrai, mais ces notions apparaissent souvent mystérieuses et inquiètent plus qu’elles ne rassurent.
Certaines personnes « connaissant » la psychologie y naviguent avec plus ou moins de clarté et de bonheur; d’autres, moins renseignées, n’en connaissent que les caricatures parfois ridicules ou effrayantes qu’on en fait.
Comme il n’y a pas de fumée sans feu, il y a peut-être un peu de vrai dans ces caricatures. D’autant plus que dans ce domaine on trouvera de nombreuses écoles différentes et, dans chacune d’elles, des praticiens ayant une approche personnalisée selon propre expérience. Mais d’un autre côté, ces caricatures ne tiennent pas compte des progrès accomplis ni de la volonté et de l’investissement profond de nombreux thérapeutes en vue de soulager la souffrance morale des gens qui les consultent.
Quoi qu’il en soit, des précisions s’imposent afin de démystifier notre fonctionnement psychologique et d’accéder au sens de ce que nous ressentons quand nous sommes en état de bien-être ou de mal-être.
2. Bien-être et mal-être
Tout d’abord, comprenons ce que signifient ces deux termes. Bien être veut seulement dire « être » et mal être équivalent à « ne pas être ». Le mal c’est le « manque » (avoir le mal du pays c’est quand le pays nous manque, avoir de la malchance c’est ne pas avoir de chance). De l’autre côté, le bien c’est l’« avoir » (avoir du bien, avoir des biens, c’est être riche).
« Bien » veut dire qu’il y a, « mal » signifie qu’il n’y a pas.
Le mal-être est « une absence d’être » et quand nous ne nous sentons pas être, nous avons tous fait l’expérience que cela est douloureux. Le travail thérapeutique consiste donc à accroître sa capacité à être, et surtout pas à combattre le mal-être.
C’est un manque à combler, pas à combattre !
Rechercher le bien-être c’est donc « chercher à être » en passant par l’étape intermédiaire du mieux-être qui signifie « davantage être ». Mais comment peut-on s’y prendre pour davantage être ? C’est là la question, car le mirage n’est pas loin : en quête de mieux-être, souvent nous cherchons surtout à « avoir plus ». Nous mettons plus l’accent sûr l’accroissement de l’avoir que sur celui de l’être. Mais, au bout du compte, nous constatons après le flash de satisfaction de l’avoir que le mal être (manque d’être) est toujours le même. La croissance démesurée de l’avoir ne semble pas combler un tel manque, puisque même des gens très fortunés ou admirés par tous peuvent se trouver en état de souffrance morale, en état de mal-être extrême (jusqu’au suicide).
Tenter de combler le manque d’être par une plus grande quantité d’avoir ressemble étrangement au tonneau des Danaïdes de la mythologie : on s’investit éternellement dans son remplissage, mais il n’est jamais plein !
Ce qui nous conduit à ce mirage, c’est qu’en dessous d’un certain seuil de manque d’avoir, l’avoir peut être prioritaire. Par exemple, quelqu’un qui meurt de faim a d’abord besoin d’avoir à manger ; s’il ne mange pas il va en mourir… et il n’y aura plus d’être du tout. A ce stade, être passe par avoir. A partir de là, nous avons inconsciemment (en toute logique) tendance à extrapoler en développant un culte de l’avoir bienfaisant !
Mais quand le nécessaire est pourvu au-delà d’un certain seuil (bien difficile à définir), c’est un leurre d’espérer un « plus d’être » grâce à un « plus d’avoir ». On pourrait comparer cela à un élève de collège qui espérerait avoir son bac en faisant sept fois sa 6ème plutôt que de monter de classe chaque année jusqu’à la terminale. Il est vrai que s’il ne fait pas sa 6ème il n’aura pas son bac, mais il ne l’aura pas non plus en développant un « culte de la 6ème » dont il exclurait toutes les autres classes.
L’avoir est-il mauvais, faut-il s’en méfier, faut-il en avoir honte ? Certaines philosophies en font, à tort, la source du mal. Or, on doit juste éviter d’attendre de lui ce qu’il ne peut apporter. Il n’est pas la source du mal : simplement, il ne le comble pas. Ce qui est nuisible ce n’est pas lui, c’est notre illusion. Ainsi, en évitant de nous illusionner ça nous fait déjà éviter un piège. Mais ça ne nous dit toujours pas comment atteindre le « bien-être ».
Alors voilà : le bien-être passe par le fait de se sentir mieux.
3. Se sentir mieux
Quand je dis que pour « bien être » il faut se sentir mieux, cela peut paraître mièvre, voire inutile ou stupide. Mais il faut comprendre que le mal-être ne vient pas du fait que nous avons cessé d’être. Il vient du fait que nous ne nous sentons plus être. Nous l’exprimons tout naturellement en disant: «Je me sens mal» qui veut dire: «Je ne me sens pas»
Se sentir mieux signifie réhabiliter sa propre sensibilité envers soi-même.
Notre bien-être dépend de notre capacité à nous sentir nous-même et, plus cette sensibilité est fine, mieux nous nous sentons. On dira alors : « Je me sens mieux » ou « Je me sens bien ».
Etre sensible à soi est très différent de s’admirer ou d’être fasciné par son apparence physique ou intellectuelle.
Celui qui s’admire est insensible à lui car il ne fait que contempler le personnage qu’il joue. Ce personnage est une idéalisation de ce qu’il voudrait être, mais ce n’est pas lui. Il admire la brillance de surface car il ne veut surtout pas sentir ce qu’il y a en dessous. Il ressemble surtout à quelqu’un qui se parfume beaucoup pour ne pas se sentir. Plus il s’admire, plus cela signifie qu’il s’est anesthésié par rapport à lui, car il en a peur.
Pour oser se sentir, on doit développer un autre regard sur tous ces travers dont nous cherchons à nous débarrasser pour nous sentir mieux. En vérité, nous n’osons pas nous sentir car nous avons peur de ne pas sentir très bon !.
Nous vivons dans une culture (mais il y en a d’autres du même genre) qui a semé en nous une idée tenace de culpabilisation. Ce que nous sommes y est évoqué comme empli de mauvaises choses : nous y sommes habités par le mal ; ce que nous sommes au départ est même douteux puisque entaché d’un péché originel.
Peut-être peut-on entendre tout cela autrement quand on sait que mal veut dire « manque » : habité par le manque, ça ne sonne plus pareil. Quand au péché originel, on peut en avoir un autre décodage aussi puisqu’il symbolise le premier jugement émanant de nous, notre première capacité à nous mettre en rupture pour éviter ce qui nous dérange (il est intéressant de remarquer que la Résurrection accompagne le Jugement dernier, c’est-à-dire le dernier jugement). Peut-être y a-t-il simplement plus de vie quand on ne juge pas !
Parmi les différentes façons de considérer ce que véhicule notre culture, certaines semblent plus satisfaisantes que d’autres. Non pas parce qu’elles nous arrangent, mais parce qu’elles correspondent mieux à ce qu’on voit dans l’expérience de la vie. Ce qui est certain, c’est que la façon dont les choses ont été comprises et véhiculées – tant dans le domaine religieux que dans le domaine laïc – nous a égaré par rapport au fait de bien nous sentir.
Si on nous a quelquefois éveillé à l’idée de ne pas juger les autres, on nous a pleinement éduqué à nous juger nous-même en permanence.
Quand vous faites croire à quelqu’un qu’il est horrible, il n’osera pas se regarder dans une glace. Il y a même des contes où les miroirs ont été interdits pour éviter à celui qui est laid d’être affecté par la laideur de son image !
Or, la psychologie non plus n’a pas vraiment fait l’apologie de notre beauté! Elle a plutôt décrit notre inconscient comme une sorte de fosse septique où on ne peut naviguer que si on est très bien équipé. La sensibilité y est pratiquement interdite car on nous avertit que, non guidée par un spécialiste, elle est dangereuse. On nous explique aussi, pour nous rendre tout de même un peu d’espoir, que tout ce qui ne va pas en nous peut être réglé par des gens d’expérience dont c’est le métier. Ils vont nous aider à changer ou à devenir meilleur ou, de façon moins dévalorisante, à nous débarrasser de ce qui nous gêne et que nous portons inutilement.
4. Intelligence fondamentale
Tout le problème est là. Une fois de plus, on nous laisse entendre que ce que nous sommes et ce que nous faisons est le reflet d’une erreur quelque part, que c’est un truc qui cloche et qu’il faut le réparer. Une telle proposition de nous aider est certainement animée par de la bonne volonté, mais elle dévalorise tout de même puissamment le processus qui est en train de s’accomplir en nous. Elle insinue qu’il y a quelque chose de mauvais à extirper.
Or, il n’en est rien. Notre inconscient n’est pas une fosse septique à nettoyer ! Il est plein de trésors à retrouver. Ce n’est pas d’une chasse à l’erreur (ou, plus crûment, d’une chasse à la « merde » qui est en nous) dont nous avons besoin, mais d’une chasse au trésor. Le contenu de notre inconscient et nos comportements dans notre vie sont le résultat non pas de nos égarements, mais de notre intelligence cachée qui, en permanence, nous guide inconsciemment vers ce que nous recherchons pour retrouver notre équilibre et notre bien-être. Cette intelligence cachée assure le meilleur comportement possible compte tenu de la conscience et de l’information disponibles en nous. Si notre comportement vient perturber nos propres projets de surface (ceux dont nous avons conscience habituellement et qui sont motivés par nos désirs immédiats), c’est qu’en nous, à notre insu, nous avons d’autres projets prioritaires (projets profonds).
Par exemple, quelqu’un que ses parents ont traité d’imbécile fera tout pour leur prouver qu’ils ont eu tort en essayant de réussir des choses dans sa vie. Mais il échouera, car son projet prioritaire, profond (inconscient), est de leur donner raison.
Pour lui, des parents qui ont raison sont plus sécurisants que des parents qui ont tort. Il se mettra plus tard (alors qu’il a juré le contraire) à traiter son propre enfant d’imbécile. Il ne le fera pas pour suivre le modèle de ses parents, mais pour mieux les comprendre, pour mieux constater qu’en fait, dans la vie, on ne fait pas toujours ce qu’on veut. Il réalisera alors que leur jugement n’exprimait pas ce qu’ il était, lui, qu’ il mais seulement ce qu’ ils ressentaient de peur, d’inquiétude ou de douleur en eux.
Ce message ne parlait pas de lui, mais de leur souffrance, de même qu’aujourd’hui dit à son enfant est l’expression de sa propre souffrance.
Il peut alors changer son comportement et réussir sans leur donner tort. Il peut même, comprenant ce qu’ils ressentaient, tourner vers eux un regard de compréhension et de chaleur qui le porte vers la réconciliation.
D’abord il s’est individualisé (il est différent d’eux), ensuite il les a rencontrés. Il peut enfin être pleinement lui sans les perdre. Il pourra désormais réussir non pour leur prouver quelque chose, mais simplement pour accomplir sa vie… et ça marchera !
Son comportement d’enfant n’était pas une erreur car il n’avait pas encore le bagage pour faire autrement. Il a judicieusement mis la situation en attente en se donnant, tout au cours de sa vie, les moyens d’y remédier. Ce qui est curieux, c’est que ces moyens profonds contrariaient ses projets de surface, d’où l’apparence du déséquilibre car il ne parvenait pas à réussir comme il le souhaitait. En réalité, il y avait une priorité sous-jacente : individualisation et réconciliation. Nous reviendrons longuement sur ces notions. Vous constaterez, à travers l’exemple ci-dessus, que ce que nous portons nous ne le portons pas inutilement.
Ce qui nous gêne ne nous nuit pas forcément Quant à changer, nous n’en avons pas besoin.
Il ne s’agit pas de changer pour devenir meilleur, mais simplement de devenir plus soi.
Nos défauts ne sont pas des excès dont il faut nous débarrasser, mais des manques (de nous-même) que nous devons combler (ce qui fait défaut c’est toujours ce qui manque, jamais ce qu’on a en trop). Tout ce qui semble être des erreurs dans nos attitudes sont en fait des éléments qui participent à nous « combler ».
On nous a beaucoup mis l’accent sur ce dont nous devons nous débarrasser. Or, il ne s’agit pas de se combattre mais plutôt de se révéler, de naître et de s’accueillir en tant qu’individu.
Derrière l’apparence de désordre des comportements indésirables (timidité, colère, phobies, pulsions, inhibitions, etc.), il y a beaucoup d’intelligence. Quand nous constatons – chez les autres ou chez nous-même – des imperfections, celles- ci ont du sens ; elles servent à quelque chose, ou plutôt à quelqu’un : à nous et à certaines personnes qui nous entourent.
Considérer que tous les actes ont du sens (et qu’on doit davantage devenir soi plutôt que changer) ne signifie surtout pas que nous nous orientons vers le laxisme.
Le processus peut être long, et il est vrai qu’en attendant d’y parvenir, certains manques engendrent parfois des attitudes si nuisibles socialement qu’il n’existe pas d’autres moyens que de les réglementer par des lois. Pourtant, il ne faut pas confondre la nécessité de lois pour vivre en société (venant compenser un manque de conscience de soi et d’autrui) avec une attitude de jugement et d’exclusion n’accordant pas de valeur à l’être humain. Tous les actes ont du sens, mais ils ne peuvent pas tous être permis. Le laxisme serait dangereux et inutile. Ce ne sont pas les actes qu’il faut permettre, mais les intentions qu’il faut comprendre et accueillir.
Quand on nous conseille la maîtrise de soi, quand on nous dit qu’il faut se dominer, qu’il ne faut pas s’écouter, qu’il faut être fort, ne pas montrer ses faiblesses… on nous invite à nous écarter de la sensibilité envers nous-même.
On ne peut pas se sentir bien dans une culture où l’on nous invite partout à ne pas nous sentir !
On nous éloigne de bien se sentir et de bien être. On a complètement confondu la maîtrise de soi avec l’affirmation de soi. La première exprime le pouvoir de s’écraser (car plus je veux me maîtriser, plus je dois me refouler) et la deuxième la capacité à exister.
L’affirmation de soi est essentielle. Elle est liée à notre facteur d’individualisation.
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